PROGRESSIONS ET SEMANTIQUE MUSICALE

(info-musicollège n°2 - septembre 1992)

Les précédents articles ont défini les techniques d'apprentissage, dont la maîtrise conditionne toute pratique collective, et la méthode pour développer, à partir de cette musique produite par les élèves, des capacités de lecture et d'écriture. Ces deux phases de travail "dans le moment" analysées, il convient de réfléchir sur les moyens d'organiser une succession cohérente de séquences "dans le temps".

Les progressions définissent les différentes étapes de ce cheminement. Leur choix résulte :
- d'une analyse linguistique de de la musique
- des supports utilisés en classe : voix, instruments (percussions ou flûte).

Essai d'une analyse linguistique de la langue musicale

Art qui se déroule dans le temps, immatérielle et par conséquent fragile dans sa réalisation, la musique est décrite le plus souvent comme un ensemble de signes (le bémol, l'armure, le triolet... dont on a pu mesurer les effets pédagogiques abominables... !) agrémentés de commentaires élégants dont le plus célèbre est sans doute celui de Rousseau : "La musique est l'art de combiner les sons de manière agréable à l'oreille" (J.-J. Rousseau, Dictionnaire de la musique). Cette affirmation ne nous paraît pas répondre de manière très explicite à la question cruciale :

Qu'est-ce que la musique ?

La volonté de faire pratiquer la musique par tous, sans pré-requis (solfège ou technique instrumentale acquis dans une école de musique par exemple) doit nous inciter à :
- essayer de définir les caractéristiques essentielles du langage musical,
- observer les pratiques musicales populaires parce qu'elles privilégient l'instinct,
- tirer les conséquences pédagogiques pour une pratique collective accomplie.

1 - La musique est forme
2 - La musique est rythme
3 - La musique est mélodie et harmonie.

1 - La musique est forme

1.1 - La forme constitue un tout

A l'image de tout ce qui compose la nature et de ce qui est créé par l'homme - objet utilitaire ou oeuvre d'art - toute oeuvre musicale tire sa cohérence et sa solidité de la forme qui constitue un tout. Toute expression orale, c'est-à-dire qui se déroule dans le temps (langage courant, poésie, musique) repose sur une succession de phrases ses possédant un dénominateur commun - levers ou la période - , organisées en structures simples (paragraphes, chapitres ; tirade, scène, actes; plan ternaire, rondo...).
Tels les trouvères du Moyen-Age, les musiciens populaires et les jazzmen, les auteurs des Musicollèges privilégient la forme parce qu'elle permet de :
- suivre le déroulement du discours musical,
- d'identifier une fin de phrase, une reprise ou une introduction,
- de rattraper le groupe dans le défilement du discours musical, lorsqu'on s'est égaré par rêverie ou maladresse.
La forme apporte l'équilibre dans le retour régulier des points d'appui, dans l'alternance des périodes suspensives et des périodes conclusives, dans la succession des phrases qui s'opposent ou se complètent, pour engendrer un canevas vas à l'intérieur duquel la pensée musicale se développe aisément.

1.2 - La période musicale est l'élément organisateur de la forme.

En astrophysique, la période est le temps nécessaire a un objet pour revenir à son point de départ (rotation de la terre sur elle-même en une journée ; rotation de la terre autour du soleil en une année...), d'où l'idée de cycle.

En musique, la période est le temps nécessaire à l'exposition d'un élément thématique, dans sa forme initiale, ou par imitation, d'où l'idée de mouvement engendré par une succession de périodes.

Beethoven L.V., 1er mvt de la Symphonie n°5

D'une durée de quelques mesures, en général 4 ou 8 (mais il existe aussi des périodes irrégulières), la période peut se confondre avec le thème ;

Bach J.S., 2nd mvt du 2ème Concerto Brandebourgeois

ou constituer une partie du thème ;

Mozart W.A., 1er mvt de la Symphonie n°40

Comme la pulsation, dont elle est multiple et avec laquelle elle offre d'étroites analogies, la période peut être perçue selon des fréquences différentes et autorise plusieurs analyses possibles.
Toujours présente, parfois cachée,

Ligeti G., Lux Aeterna

la période imprime à la phrase son mouvement général.
Qu'elle soit dynamique,

Bach J.S., Bourrée I de la 3ème suite en Do majeur pour violoncelle

ample,

Franck C., 1er mvt de la Symphonie en Ré mineur

ou resserrée,

Bartok B., 1er mvt de Musique pour cordes, percussion et célesta

la période impose le rythme harmonique,

Bach J.S., 1er Prélude du Clavecin bien tempéré

et constitue le fondement de l'architecture musicale.
Comme on dit en architecture d'une façade qu'elle est bien rythmée, on dit d'une musique qu'elle est bien construite.

Forme et rythme sont étroitement mêlés.

C'est pourquoi, l'acquisition du sens de la période - par le dialogue et l'apprentissage du "par coeur" notamment - occupe une place essentielle dans les Musicollèges. La période conduit à la phrase, à la succession de phrases et aux formes les plus simples accessibles à des élèves de collège.

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