LE LIEN ENTRE L'ORAL ET L'ECRIT : LIMITES
DE L'ABSENCE DE L'ECRIT

(info-musicollège n°9 - septembre 2001)

La problématique du cours d'éducation musicale est de parvenir à donner suffisamment d'autonomie de lecture à l'élève pour qu'il puisse progresser dans une pratique collective stimulante, tout en lui épargnant les longues heures d'étude rébarbative du solfège que trop d'apprentis musiciens ont subies sans y éprouver de plaisir musical.
Jusqu'où doit-on développer les capacités de lecture de nos élèves et comment articuler l'apprentissage de l'oral et de l'écrit pour que le second ne tue pas l'adhésion spontanée du premier ?

1 - La suprématie de l'oral

Toute acquisition est subordonnée à la pratique musicale.
- Les méthodes actives ont démontré que l'apprentissage de la musique est comparable à celui d'une langue : par le bain oral, on s'en approprie les idiomes, les tournures, le style, bref tout ce qui en fait l'intérêt sensible et donne du sens. Cette imprégnation du langage constitue le premier des apprentissages. L'acquisition de répertoire sollicitant la mémoire, la maîtrise de la reproduction impliquant la technicité, l'intellectualisation (codage du solfège incluant lecture, écriture et création) ne sont que des phases complémentaires et ultérieures.

Cette première étape, toute d'instinct et d'ouverture, suffit-elle pour pénétrer le monde sonore ?

- La transmission exclusivement orale a ses limites, bien connues. La nécessité pour les interprètes de mémoriser et d'assimiler tout corpus d'éléments musicaux incontournables (rythmes, modes ...) impose de longues années d'apprentissage (musique indienne par exemple). L'avènement de l'écriture a donné à l'Occident les moyens de réduire ces apprentissages longs et fastidieux tout en ouvrant de nouvelles possibilités : la polyphonie, le contrepoint, l'harmonie sont les fruits de l'écriture.

- Le signe musical a joué son rôle dans l'appropriation de la musique.
Il illustre la musique qui, sans lui, demeure insaisissable. Par l'intelligence de l'observation, le compositeur (ou l'élève) peut la manipuler, la transformer, la faire évoluer.
Les limites de la seule pratique intuitive sont élargies, et le langage musical plus facilement appréhendé et maîtrisé dans toutes ses composantes rythmiques, mélodiques et formelles.

2 - Lecture et écriture dans les "Objectifs"

Lecture et écriture sont abordées selon la démarche naturelle que vit tout enfant dans l'apprentissage de sa langue maternelle : il parle, lit, écrit. (cf. Info-musicollège n°1).
La démarche est claire et sous-tend l'organisation de chaque leçon : on apprend par imitation, on identifie des "mots musicaux" ayant un sens musical et qui participent à l'organisation de la phrase, on s'approprie ces "mots" en les fredonnant, les répétant, les identifiant puis en les chantant avec le nom des notes. On dissocie les éléments rythmiques et mélodiques constitutifs de ces mots et on les fixe par l'écriture, ce qui permet de ensuite de les identifier aisément.

L'écriture est indissociable de la lecture.
Activité symétrique de la lecture,
l'écriture est une autre manière de lire.


Ainsi, la lecture s'effectue d'autant mieux qu'elle mobilise le travail d'écriture pour fixer visuellement, ouvrir l'audition intérieure et, par la manipulation, stimuler la création. C'est ainsi que la seule lecture solfégique, déconnectée de l'écrit, peut ne mobiliser que l'intuitif (on peut lire un texte musical graphiquement sans en identifier précisément les sons).
Cette lecture reste globale, sans réelle prise de conscience de la disposition des notes dans l'espace ou sur la portée et de leurs relations entre elles (intervalles, fonctions). Bien des élèves font alors apparaître des carences importantes de lecture alors qu'ils paraissent pourtant bien suivre en classe les textes pratiqués. On ne peut faire l'économie de l'indispensable acquisition par l'écrit.

L'écriture renforce la réflexion et l'observation.

Face à la portée, l'élève révèle par son écriture ses incompréhensions, ses contresens, ses lacunes dans l'acquisition des notions fondamentales. On écrit des "notes qui montent" pour une mélodie descendante, on dispose dans le même espace une noire et une blanche... L'incapacité à se relire souligne les défaillances d'apprentissage d'une lecture restée trop aléatoire.

Seuls des aller et retour constants entre écriture et lecture
permettent d'obtenir une sûreté de lecture.

3 - Le déchiffrage est la phase concluante de la lecture.

Ce qui prime dans le déchiffrage,
c'est la compréhension du discours musical.


C'est la "preuve par neuf" que le signe est suffisant pour reconstituer ce qui est devenu musicalement familier. Si le déchiffrage est habituel, il n'y a pas de difficulté. Tout déchiffrage imposé en début de formation met l'élève dans la situation de devoir reconstituer une langue qu'il ignore : la musique écrite ne lui parle pas et, n'en percevant pas le sens, il ne peut en traduire l'écriture. Plus tard, dans les classes de quatrième et troisième par exemple, les élèves connaissent suffisamment de "mots musicaux" pour les reconnaître ou les extrapoler dans la globalité du discours et en reconstituer le "sens musical".

En limitant dans les débuts le nombre des signes musicaux utilisés, les Objectif favorisent la lecture sans appauvrir l'intérêt des textes et la variété des styles

4 - Comment évaluer l'insuffisance de l'écrit ?

Si vous constatez que vos élèves écrivent le nom des notes sous la portée, jouent de la flûte en regardant les doigts du professeur ou d'un camarade, confondent les notes mi et sol, la et do... , identifient mal les formules rythmiques ou mélodiques...
c'est que l'écrit a été insuffisamment utilisé dans l'apprentissage de la lecture.
Les Objectif apportent le moyen de ne pas négliger l'activité d'écriture : in Objectif 6e

- p.7 recopiez la phrase...
- p.12 écoutez les formules... frappez-les, écrivez-les...

La qualité de l'écriture témoigne non seulement du soin, mais des capacités de lecture et de compréhension de la musique.
Soyez exigeants sur la qualité de la copie des textes musicaux :
crayon bien taillé, grosseur des signes adaptée à la portée, propreté, disposition, etc... car cela est aussi important que l'apprentissage du morceau de flûte ou de chant que vous avez conduit juste avant.

Et n'oubliez pas que, si la musique
s'envole, les écrits restent !

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