CONSTRUIRE LA VOIX DES ELEVES AU COLLEGE

(info-musicollège n°11 - octobre 2003)

La pratique vocale est depuis toujours le fondement même de l'éducation musicale. Chanter demeure le meilleur moyen de réunir les élèves dans une pratique commune dépourvue de pré requis. Ou presque...

La situation de l'école élémentaire par rapport à l'enseignement musical évoluant très diversement, le professeur de collège rencontre fréquemment en 6e une grande disparité entre les compétences vocales antérieurement acquises par les élèves.
La conquête de l'unisson n'est pas toujours assurée et les bourdons ne sont pas rares. Il importe donc, en classe de 6e, de conduire une mise à niveau de la maîtrise vocale qui concerne prioritairement la prise d'intonation et le chant maîtrisé à l'unisson. Les programmes (déjà cités) insistent sur cette dimension fondamentale du cours :

La maîtrise progressive des possibilités sonores de la voix contribue de manière fondamentale au développement personnel de l'élève : c'est un enjeu majeur du cours d'éducation musicale où elle occupe une place privilégiée.

Malheureusement, les mêmes programmes demeurent discrets sur la formation vocale, abordant sans développer la culture vocale : tenue corporelle, décontraction, ancrage, souffle, pose de voix, extension de la tessiture, articulation, préparation aux difficultés du chant (intervalles, rythmes, prononciation). L'acquisition, imposée par les programmes, d'un nombre substantiel de chants étudiés dans l'année (8) et connus par coeur, doit s'opérer simultanément avec la construction de la "vocalité".

1 - Construire une véritable progression vocale

Il ne saurait être question dans le cours hebdomadaire d'avoir l'ambition de mener un travail vocal comparable à celui des maîtrises. Ni l'effectif horaire ni l'hétérogénéité des élèves n'y répondraient.
Il faut mener une pratique vocale progressive et contrôlée.


Quelques points à contrôler et des écueils à éviter
- un chant "attractif" peut être à dominante rythmique. Le texte est syllabique, haché et soumis au rythme. A l'interprétation, il est fréquent que les élèves ne chantent pas ; ils produisent juste un "parlé/modulé" où la voix chantée est moins bien mobilisée que la voix parlée. Les notes ne sont pas restituées dans leur durée, les voyelles escamotées et les consonnes privilégiées.

- le niveau d'émission vocale est parfois trop faible et sans rapport avec le nombre d'élèves rassemblés. Les voix sont sourdes, ne portent pas. Si le professeur sollicite davantage l'articulation, l'émission est encore plus hachée.

- le modèle vocal proposé par le professeur lui-même est soumis aux rapports délicats voix de l'adulte / voix de l'élève, voix grave d'homme avec des voix de jeunes filles ou voix de femme avec voix de garçons adolescents ;

- une tenue corporelle incorrecte ne permet pas de mobiliser un contrôle du souffle, donc du phrasé, donc de la musicalité. Chanter assis est plus difficile que chanter debout. On ne peut y parvenir qu'après avoir "réveillé" le corps, installé une bonne attitude du buste et de la tête, créé une tonicité corporelle qui s'acquiert avec de la pratique ;

- une démarche d'apprentissage privilégiant trop précocement l'accompagnement au piano ou le play-back empêche les élèves de s'écouter et de se corriger. Elle entraîne souvent des redites stériles qui masquent les difficultés spécifiques des plus démunis et démotivent les plus compétents.


Des démarches constructives
Dès les premières séances, de la 6e à la 3e, il est nécessaire de construire une progression du travail vocal en n'omettant aucune étape :

- installer la discipline d'une pratique collective : attention, concentration, écoute du professeur et des camarades, respect de tous et en particulier de ceux qui ont des difficultés... ;

- parvenir à installer un bel unisson par le choix de tessitures et tonalités adaptées ; ce qui va bien pour une classe ne convient pas forcément pour une autre où la proportion des voix est différente ;

- repérer et corriger rapidement les bourdons, les voix à l'octave inférieure, et tous ceux qui n'ont pas une prise d'intonation ou une émission aisée ;

- établir le plus tôt possible la prise de conscience de la différence de tessiture avec la voix du professeur et faciliter la prise de repères sonores par rapport au piano ;

- en dépit de ces exigences, maintenir une pratique collective gratifiante dans la bonne humeur, la tolérance mais aussi un niveau d'exigence qui permet aux élèves de s'investir dans une activité où on apprend quelque chose.


Une progression des exigences vocales
C'est à chacun de construire la vocalité en fonction de son expérience et de ses convictions.
Une fois la classe installée dans une pratique spontanée et disciplinée où le travail oral en dialogue est devenu réflexe et où comportement et attitude corporelle sont constamment surveillés et corrigés, on pourra s'engager :

- vers une pratique du "chant juste", soutenue par une assistance instrumentale pour préciser les contours mélodiques, des intonations difficiles, des contextes harmoniques facilitateurs. Le professeur ne doit pas chanter avec les élèves. Le travail a cappella, chaque fois qu'il peut être privilégié, est le plus formateur ;

- dans la construction de la vocalité en travaillant, semaine après semaine, tous les paramètres favorisant l'émission vocale : décontraction et tonus corporel, souffle, articulation, mobilisation des résonateurs, coloration des voyelles, etc... chaque nouvel exercice réinvestissant ceux abordés précédemment. C'est parce qu'on se tient bien qu'on parvient à maîtriser la respiration diaphragmatique, à tenir un son et à le faire sonner ;

- construire un véritable travail vocal justifié par des objectif explicites : "on va travailler ceci parce qu'il y a cela à corriger". Des exercices adaptés, faciles d'accès et ludiques cibleront les compétences à acquérir (maîtrise du souffle ou expression liée au phrasé, justesse, couleur des voyelles, place dans les résonateurs, articulation, volume sonore...) ;

- améliorer et développer les capacités de concentration tout en connaissant les limites des élèves. Un exercice ne doit pas s'appesantir pour aboutir à un résultat. Sinon, c'est qu'il ne convient pas.


Un contrôle individuel et collectif précis de ce que font les élèves
La nécessité de corriger aussitôt ce qui ne va pas oblige à une écoute constante et réactive de la classe. Cependant, l'interruption fréquente du travail n'est pas non plus souhaitable car elle démobilise constamment les élèves. C'est au professeur de trouver le juste milieu pour conduire la pratique vers une image sonore idéale.
Ce contrôle s'exerce d'abord collectivement puis en isolant progressivement des groupes d'élèves : alternance de groupes de 2 ou 3 avec le tutti pour mieux saisir ce qui se passe individuellement sans mettre les élèves en difficulté personnelle. Enfin, le contrôle individuel débouchant sur le conseil et la remédiation, s'il est très utile, doit être effectué avec tact et prudence.

2 - Quels répertoires pour bien former la voix ?

La recherche du répertoire est une préoccupation constante du professeur : intéresser, faire adhérer les plus récalcitrants, favoriser un engagement vocal spontané. Mais aussi, former vocalement et musicalement. Il n'est pas aisé de construire la voix en faisant travailler des chants "à-la-mode-qui-plaisent-aux-élèves"

- le meilleur répertoire est souvent inconnu des élèves ce n'est pas parce qu'un chant semble démodé qu'il sera rejeté. Au contraire, les élèves n'ont pas tant d'a priori. Ils l'adopteront avec enthousiasme dès lors qu'il aura été présenté de façon attractive assortie d'un apprentissage gratifiant ;

- utiliser un pour les qualités qui lui sont propres, surtout si elles ont été déjà exploitées ou vérifiées : tel chant est bon pour l'articulation, tel autre favorise la vocalité, un troisième fait travailler le souffle et le phrasé...

- privilégier le répertoire dont le texte convient le mieux à la maturité des élèves. Night'n day utilisé en 6e, que restera t'il en 3e ?

- se méfier des répertoires originellement destinés à une autre forme de diffusion que celle offerte par le cours les adolescents, même s'ils ont parfois le sens du grotesque, n'échappent pas à la reproduction de clichés vocaux et gestuels qui les font s'identifier aux nombreux interprètes de spectacles en vogue, abondamment médiatisés.

- ouvrir le goût musical des élèves en choisissant des chants d'inspirations diverses et d'un niveau de technicité approprié (ni Stabat Mater de Pergolèse ni air de la Reine de la Nuit).

3 - Comment intégrer les chants dans une progression ?

L'objectif premier du cours d'éducation musicale est d'apprendre à chanter dans une pratique collective constamment irriguée par la recherche de l'expressivité musicale.
Et l'expressivité ne fait pas bon ménage avec ce qui est faux, pas en mesure, inaudible ou bourdonnant. D'où la nécessité de sélectionner les chants selon une progression de la pratique vocale. Chaque conquête s'illustrera par un chant emblématique de la compétence à acquérir.
L'idée de classer les difficultés vocales s'impose alors, en allant du plus simple au plus compliqué (et pas seulement de l'unisson à la polyphonie).
Il y a une autre logique dans la sélection d'un chant que l'immédiate séduction des élèves. Et quand ceux-ci comprennent qu'on est en train de leur apprendre quelque chose, ils finissent par accepter d'en passer par toutes les contraintes et les efforts personnels que cela inévitablement suppose.
Les étapes qui doivent présider au choix des chants et à leur classement dans une logique à la fois instrumentale et musicale sont les suivantes :
- éveiller la phonation,
- acquérir une technique de respiration,
- rechercher les sensations et placer la voix,
- développer le son par la posture vocale et l'articulation,
- mettre sa technicité au service du texte musical (expression, style).

Tout le travail progressif d'imprégnation, de dialogue, de correction doit se conduire le plus souvent directement a cappella ou avec un minimum de soutien instrumental.
L'accompagnement enregistré n'est pas approprié à l'apprentissage. Il intervient en phase finale, pour apporter la couleur orchestrale et la dimension stylistique.
On ne commence pas le repas par le dessert !

"Chantez, chantez, chantez, il en restera toujours quelque chose" (M. Fugain)

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